Chaque jour, nous prenons des décisions.
Et pour être bien honnêtes, des décisions qui nous semblent raisonnées, mais qui le sont peu ou prou. C'est que parfois nous nous basons juste sur notre expérience pour trancher, sans effectuer de véritable raisonnement : «Toutes les fois où j'ai eu besoin de booster la productivité de mes gars, j'ai mis en jeu une prime et ça a fonctionné. Je vais leur refaire le coup cette fois-ci, ça marchera encore. Forcément». C'est que d'autres fois nous manquons de données fiables pour mener à bien un vrai raisonnement : «Bon, c'est vrai qu'on ne sait pas avec exactitude combien de clients vont nous lâcher si j'augmente nos prix de 5%, mais c'est l'inflation, tout le monde augmente ses prix, donc, nous aussi. Ils n'ont pas été nombreux à lâcher ceux qui l'ont fait avant nous, il n'y a donc pas de raison de ne pas le faire à notre tour».
Tout ça a la couleur d'un raisonnement, mais tout ça n'est aucunement un raisonnement. Car ça ne se base pas sur une réflexion à la fois logique et fondée.
Résultat? Les chances sont dès lors élevées de nous planter en beauté. Et donc, de devoir vivre avec les conséquences, qu'elles soient mineures ou majeures.
La question saute aux yeux : comment corriger le tir? Oui, comment adopter désormais une approche véritablement raisonnée des décisions qu'il nous faut prendre dans notre quotidien au travail?
La bonne nouvelle du jour, c'est que j'ai une méthode à vous suggérer à ce sujet. Une méthode simple et efficace. Une méthode que j'ai dénichée à la lecture du tout dernier ouvrage de Kwame Anthony Appiah, le philosophe ghanéen qui tient la chronique The Ethicist dans les pages du New York Times : «As if - Idealization and ideals» (Harvard University Press, 2017).
Imaginons que vous avez un choix à faire qui est empreint d'incertitude : grosso modo, vous ne savez vraiment pas comment trancher, vous balancez entre les différentes possibilités à votre portée. Il vous suffit à ce moment-là de vous munir d'une feuille de papier et d'un crayon, puis de raisonner en procédant par étapes :
1. Estimez le degré d'incertitude
Prenons un cas qui nous concerne tous. On est le matin et le bulletin météo indique qu'il y a 40% de chances qu'il pleuve durant la journée. Que faites-vous? Vous prenez votre parapluie, ou pas? (Je sais, votre réflexe habituel, c'est de regarder le ciel et de vous décider en fonction de ce que vous voyez; mais on s'entend pour dire que ce n'est pas là une décision raisonnée.)
Dans le cas présent, le degré d'incertitude est de 40%, qu'on peut également présenter comme 0,4. Par conséquent, la probabilité de pluie (p) est de 0,4.
p = 0,4
2. Représentez le carré magique
Au milieu de la feuille de papier, tracez deux traits qui se croisent, l'un vertical, l'autre horizontal. Vous obtenez ainsi un carré magique composé de quatre cases.
Dans chacune des cases, inscrivez un scénario possible, comme dans le schéma indiqué ci-dessous.
Case 1. «Pluie & Parapluie» pour signifier qu'il pleut et que vous avez pris - fort heureusement - votre parapluie.
Case 2. «Pas de pluie & Parapluie» pour signifier qu'il n'y a pas de pluie, mais que vous avez pris votre parapluie (et devez le traîner avec vous toute la journée, pour rien).
Case 3. «Pluie & Pas de parapluie» pour signifier qu'il pleut et que - ô malheur - vous n'avez pas pris votre parapluie avec vous.
Case 4. «Pas de pluie & Pas de parapluie» pour signifier qu'il ne pleut pas et que - ça tombe bien - vous n'avez pas pris votre parapluie avec vous.
On le voit bien, les quatre scénarios possibles sont là.
3. Estimez vos différentes désirabilités
Pour chacun des scénarios possibles, il vous faut estimer le désir que vous avez de les voir se réaliser, sur une échelle de -5 à +5. Par exemple:
Case 1. «Pluie & Parapluie». C'est un scénario plaisant (même s'il mouille), donnons-lui la note de +1.
Case 2. «Pas de pluie & Parapluie», C'est un scénario déplaisant, donnons-lui la note de -2.
Case 3. «Pluie & Pas de parapluie». C'est un scénario on ne peut plus désagrable, donnons-lui la note de -4.
Case 4. «Pas de pluie & Pas de parapluie». C'esr le meilleur des scénarios, donnons-lui la note de +2.
Autrement dit, nous venons d'estimer la désirabilité (d) de chacun des scénarios, comme suit:
d1 = +1
d2 = -2
d3 = -4
d4 = +2
4. Calculez les valeurs attendues
Ce calcul est très simple : pxd. Ce qui donne ceci:
p x d1 = 0,4 x (+1) = 0,4
p x d2 = 0,4 x (-2) = -0,8
p x d3 = 0,4 x (-4) = -1,6
p x d4 = 0,4 x (+2) = +0,8
5. Combinez les scénarios
Bon. Que cherchons-nous, au juste? À savoir s'il convient de prendre un parapluie, ou pas. Pour nous en faire une bonne idée, il nous reste donc à combiner les valeurs attendues de ces deux possibilités:
1. Avec parapluie. Ce qui correspond aux cases 1 et 2. Soit à l'addition suivante:
0,4 + (-0,8) = -0,4
2. Sans parapluie. Ce qui correspond aux cases 3 et 4. Soit à l'addition suivante:
(-1,6) + 0,8 = -0,8
6. Tranchez
On le voit bien, le fait de prendre un parapluie se traduit, à nos yeux, par une valeur attendue de -0,4. Et celle de ne pas prendre de parapluie, par une valeur attendue de -0,8; ce qui est nettement moins bon.
La conclusion est évidente : nous ressentons moins de désagréments à prendre un parapluie qu'à ne pas en prendre un.
Par conséquent, lorsqu'on ne sait pas trop s'il va pleuvoir ou pas (probabilité de 40%), mieux vaut sortir en prenant notre parapluie! C'est là une décision vraiment raisonnée.
Voilà. Grâce à cet exemple, vous venez d'effectuer un véritable raisonnement. Vous venez de découvrir une méthode susceptible de vous aiguiller vers le meilleur choix à faire pour vous, lorsque vous baignez dans l'incertitude.
D'ailleurs, je tiens à souligner un point important à ce sujet : cette méthode n'est pertinente que s'il y a incertitude. Si, par exemple, la probabilité de pluie est de 10%, pas besoin de vous livrer à ces calculs pour décider de ne pas prendre le parapluie.
Autre point qui mérite d'être mentionné : ceux qui maîtrisent un peu les maths auront remarqué qu'il ne sert a priori à rien d'effectuer la multiplication pxd, car le seul carré magique permet de voir quel est le meilleur choix à faire. Ceux-là ont raison. Néanmoins, faire le calcul peut permettre de mieux peser le pour et le contre, je pense, lorsque les deux valeurs attendues finales sont relativement proches l'une de l'autre. À vous de voir, à la lumière de la pratique, ce que vous en pensez.
Bref, vous disposez à présent d'une méthode solide pour éclairer vos choix difficiles. À vous d'en user dès la première occasion venue!
En passant, l'écrivain canadien Ronald Wright a dit dans ses Chroniques des jours à venir : «Lorsque tu as plusieurs choix devant toi et que tu n'arrives pas à te décider, prends toujours le chemin qui demande le plus d'audace».
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